DÉCLAMATION (théâtre)

DÉCLAMATION (théâtre)
DÉCLAMATION (théâtre)

DÉCLAMATION, théâtre

Issue directement de la rhétorique latine, telle que Cicéron et Quintilien l’ont recueillie des Grecs, la déclamation relève de la pronunciatio , moment ou partie du discours qui enseigne à l’orateur l’usage efficace de sa voix en fonction de la forme et du style, du but à atteindre et du public à convaincre. Les tragédiens grecs et romains — car cet art ne s’épanouit que dans les morceaux en vers ou en prose élevés et passionnés — s’exerçaient à déclamer grâce à des exercices de pose de voix, puis de scansion, exercices dirigés au son d’un instrument par un musicien. En outre, il est possible que l’acteur ait accompagné la mélodie d’un cercle de la main afin de battre la mesure du vers antique. Cet art de dire se présente comme un ensemble de règles et de techniques destinées à maîtriser le timbre, l’intensité et le débit de la voix, à la moduler suivant les mouvements de l’âme, à respecter la ponctuation, à déblayer (soit accélérer sa diction) en cas d’énumération, à amplifier le rythme dans un crescendo, etc.

Redécouverte avec la rhétorique, la connaissance et la transmission de cet ensemble de règles appartinrent davantage à partir du Moyen Âge aux gens de théâtre qu’aux rhéteurs. C’est ainsi que même s’ils furent des amateurs, les acteurs des mystères se plièrent aux exigences de la prosodie, celles du rondeau, de la complainte, des mètres octosyllabiques, des petits vers, toutes formes destinées à produire des effets émotionnels gradués, les petits vers donnant une impression de halètement et de souffrance, les longs d’ampleur et de gravité. L’attention des acteurs professionnels vers 1550 suit de près l’arrêt prononcé en 1548 par le Parlement de Paris interdisant les mystères, car «les joueurs sont [...] artisans mécaniques [...] qui n’ont ni langue diserte, ni langage propre, ni les accents de prononciation décente, ni l’intelligence de ce qu’ils disent», et refroidissent par ce fait la charité et la foi religieuses. Un nouveau genre se fait jour à la suite de cette interdiction: la tragédie humaniste en français qui donne corps à la tragédie antique rêvée jusque-là en latin. La déclamation de ces tragédies analogue à l’antique suit les lois de la prosodie et de la prononciation du vieux français. En outre, la perspective à l’italienne, l’éclairage aux chandelles ainsi que l’interdiction des mouvements naturels et les costumes corsetés contraignent l’acteur à donner le vers à l’avant-scène, bien campé face au public. Sa voix suivant le rythme du vers décrit une mélopée qui charrie les «r», les syllabes longues étirées jusqu’à l’excès, les césures martelées, provoquant des effets de grandiloquence mais sans doute d’indéniable magie. Molière imagina de noter la déclamation, et Lully faisait déclamer la Champmeslé afin de transcrire ses récitatifs.

Peu à peu, la déclamation se boursoufla, s’enfla — le terme devint péjoratif vers 1664 — jusqu’à devenir «ampulas et sesquipedalia verba », comme l’écrit Diderot, des sentences, des bouteilles soufflées, des mots longs d’un pied et demi, une sorte de psalmodie, de chant monotone, cadencé et redondant où le profond respect pour la césure faisait régulièrement tomber les vers en cadence. La Clairon vers 1752 puis Lekain s’essaient à «être aussi vrais dans la diction du détail que dans les grands mouvements de la passion [...], à éviter de trop saccader la diction», à rendre leur voix plus conforme à la sensibilité du personnage et à la situation théâtrale. Cette recherche de réalisme, Diderot s’en fait le chantre en exigeant que la déclamation soit en relation avec le geste, au service de l’émotion et de la vérité. Cette recherche d’une plus grande authenticité participe d’un mouvement esthétique, scénographique et dramaturgique; le théâtre romantique autorise même des pauses qui ruinent le rythme régulier du vers antique et le rendent semblable à la prose. Talma en 1823 enterre la déclamation, car «déclamer, c’est parler avec emphase, donc l’art de la déclamation est l’art de parler comme on ne parle pas». Mais Sarah Bernhardt fait encore vibrer les «r» et préconise d’emmagasiner de l’air pour quatre vers, ou vingt-six mots au moins, ce qui a pour effet de musicaliser le vers.

Cependant l’exigence des nouvelles scénographies et les théories contemporaines de l’art de l’acteur ruinent l’art de la déclamation. La voix n’est plus séparée du corps émetteur et elle est sommée de parcourir tout le clavier des registres et des résonateurs sans plus de censure ni d’interdits. L’injonction d’Antonin Artaud est toujours valable: «Il ne s’agit pas de pousser à temps et sans contretemps le ah / Du valet de Molière dans la classe d’André Brunot / Il s’agira d’ouvrir la bouche de telle sorte / et autant de fois qu’il faut pour que le / ah / qui dormait sous le coccyx / Sache vertigineusement gagner les étages reculés de la luette»... et de se livrer à ce que Marcel Jousse appelait «la manducation de la parole».

Encyclopédie Universelle. 2012.

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